«C’est en parfaite continuité avec ma recherche artistique qu’une histoire d’enfance a rejailli pour la résidence de création en performance d’Orange 2015. Par un beau dimanche midi, dans les années soixante, ma famille et moi sommes assis autour de la table pour prendre le repas dominical. Comme chaque semaine, ma mère a préparé une pièce de viande, car on ne mange pas de poisson le dimanche midi en Gaspésie. Comme d’habitude, je déteste mâcher la viande. La résistance de la chair cuite sous mes dents me lève le coeur. Cette fois-ci, je décide de l’avaler tout rond. Le morceau peine à se frayer un chemin à travers mon petit gosier d’enfant. Je le sens envahir le fond de ma gorge, descendre en frottant le tuyau de mon oesophage jusqu’à ce qu’il tombe dans mon estomac et laisse son empreinte douloureuse dans mon système digestif pour le reste de la journée.

Voilà que je m’interroge sur les diverses stratégies, que nous mettons en place, afin de nous adapter aux différentes manifestations que la vie nous amène. Ce choix alimentaire que j’ai fait à l’âge adulte, d’avoir une alimentation majoritairement végétarienne découle-t-il inconsciemment de cette expérience vécue avec le morceau de viande? Plus facile d’avaler — ou de faire avaler à mes enfants — un plat de lentilles plutôt que du rôti de boeuf. Connais-tu ton boeuf? Ceci est ma question de départ. Je ne sais pas où j’irai, mais je suis totalement excitée de partir à l’aventure».

Bien sûr, le projet s'est transformé durant la semaine de la résidence. La performance qui a clôturé ma résidence découle de mes rencontres qui ont eu lieu durant toutes ces journées. C'est en cyclodéambulant que je suis partie interroger des personnes croisées au hasard avec cette question : Qu'est-ce qui roule dans ta bouche? Qu'est-ce que tu es incapable d'avaler? Ces questions de départ ont servi de tremplin à de superbes rencontres où l'ajout du ketchup est apparu comme le dénominateur commun des personnes rencontrées.