L'art dans le feu

J’ai quitté Montréal pour venir m’établir à la campagne à l’Avenir dans le Centre-du-Québec. Ce déménagement était mon 17ème! J’ai vécu dans plusieurs régions du Québec, à l’extérieur de la province et même du pays. J’ai commencé ma pratique professionnelle au début des années 90. Durant toutes ces années, j’ai dessiné, esquissé et fait des peintures. C’est suite au dernier déménagement que j’ai réalisé que cette accumulation de mes productions antérieures commençait à devenir un poids physique et moral. Premièrement, ma pratique principale est l’art performance et je ne suis pas une artiste qui cherche à faire des expositions. Deuxièmement, j’ai pris la décision de ne plus produire de projets qui ne feraient que s’accumuler dans des cartons avec tous ceux réalisés au fil des années. C’est une décision de legs familial, ne pas laisser à mes deux enfants le poids de disposer de tous ces projets accumulés mais aussi un choix écologique.  

À l’hiver 2022, j’ai commencé à transporter du matériel de la ville à la campagne. J’ai débuté le tri en séparant les doublons d’archives photographiques et réfléchi à la meilleure façon d’en disposer. Je ne pouvais envisager de mettre ces photos au recyclage ou de les jeter, car elles demeurent les témoins de mes élans de création. L’idée m’est venue d'utiliser le feu comme objet de séparation. J'ai pris les doublons pour expérimenter cette action en faisant un feu et en les y mettant. En regardant brûler le matériel, à l'extérieur sous la lumière hivernale, j'ai ressenti de la poésie. Les photos se désagrégeaient avec lenteur dans le feu. J’ai immortalisé cet instant avec mon cellulaire. C’est par la suite, en regardant une captation vidéo que l’idée d’une création performative et vidéographique s’est immiscée dans mon esprit. J’ai commencé à me pencher sur le potentiel artistique et rapidement, j’ai eu le désir d’en faire un projet artistique. La création vidéo s'est avérée le médium le plus approprié pour déplier ce concept dans toutes ses dimensions. 

Le projet a été réalisé durant la saison hivernale 2023-2024. 

Le montage a été réalisé au printemps 2024 par Mathilde Geromin alias lamathilde

 https://lamathildevideo.wordpress.com/about/

La conception sonore et le mixage ont été fait par Robin Servant*.

*https://triosalicorne.bandcamp.com/album/trio-salicorne

https://tourdebras.bandcamp.com/album/du-souffle-et-de-lespace

https://tourdebras.bandcamp.com/album/attrape-mouches-2

Le projet sera mis en ligne lorsque toutes mes possibilités de diffusion professionnelle auront été explorées.

Pour l'instant, Le Groupe Intervention Video s'occupe d'en faire la distribution. 

Inspiration 

En tant qu’artiste chercheure, j’ai besoin de me ressourcer dans les écrits d’auteurs, de philosophes et d’autres chercheurs pour approfondir ma réflexion. J’ai découvert les textes de Gaston Bachelard et plus particulièrement "La Psychanalyse du feu" (1949) et "Fragments d’une poétique du feu" (1988). Les mots de Bachelard me poussent à reconnaitre le feu comme un outil de transformation et de renaissance plutôt que comme un élément de destruction. « Quand nous taisons des expériences intimes, nous contredisons fatalement l’expérience objective » (1949, p.14) d'où me vient l'idée du partage par la vidéo. Le feu est « plutôt un être social qu’un être naturel » (1949 p.20). Ce projet, L’art dans le feu, se colle à une action performative tout en portant un questionnement social sous-jacent. Contrairement à "Currency" de Damien Hirst (2022) ou à "Crematorium Project" de John Baldessari (1970), où je vois davantage des actions esthétiques et symboliques, le geste de brûler mes dessins et autres projets se vit plutôt comme une action poétique. Le feu symbolise la charge émotive et me sert à créer à nouveau à partir de ce qui déjà été créé. Ce geste de brûler se veut plus une manière de célébrer des années de création. « La conquête du superflu donne une excitation spirituelle plus grande que la conquête du nécessaire » (Bachelard, 1949, p.26).