Le corps, les galets, le mouvement
Cycle de performances autour des mémoires du corps 2009-2012
À l’automne 2010, j’ai présenté deux performances intitulées Mutations et Nativeland, dans lesquelles je réagissais à une étape bouleversante que je traversais. J’y partageais un apprentissage, soit celui de vivre une transition obligée, la vieillesse, les changements et les deuils que cela suppose. Pendant ces performances, j’ai senti qu’une gestuelle cherchait à s’immiscer dans mes actions. Je réagissais à des sensations et des émotions. Cet engagement dans le geste était toutefois freiné par mon inaptitude (et ma pudeur) à me déployer dans l’espace avec un langage gestuel, corporel, poétique et esthétique. Tous les changements que je vivais ainsi que le rapport particulier avec le vieillissement de mes parents m’ont amenée à poser un regard surprenant sur mon propre vieillissement. Chez l’humain, en raison de sa conscience, l’impact du vieillissement sur le corps dépasse le seuil du changement physiologique pour atteindre celui de l’identité, voire le changement psychique. De plus, personne ne reste insensible aux différentes modifications subites par le corps au fil des années.
En m’interrogeant sur le désir de mouvement apparu dans ces deux performances, je me suis aperçue que c’est par le corps que je tente d’apprivoiser le cheminement inéluctable de la vie. Je percevais l’émergence d’un mouvement plus intérieur, branché sur le mouvement de ma vie personnelle. Il était à la fois physique et émotif. En performance, je ne savais que faire de mes bras, de mon tronc, de mes jambes, mais j’avais tant à dire et un tel besoin de dire avec le corps, mon corps. Lors de la présentation de Nativeland, j’ai su que la danse pourrait m’aider à exprimer ce que je ressentais dans mon âme et dans mon corps. Suite à cette performance, je suis arrivée à trouver un fil conducteur entre ce désir d’expression corporelle et ma longue pratique (plus de trente ans) d’un art martial de santé, le tai-chi. Je peux me mouvoir aisément dans l’espace et avec l’espace, mais poétiser avec mon corps, je ne le savais pas encore.
Lorsqu’on est une jeune femme, vouloir apprendre la danse semble tout à fait normal, mais qu’en est-il lorsque l’on a franchi le cap de la cinquantaine? Cette question, je me la suis posée lorsque le temps est venu de passer à l’action. Il était devenu évident que, si je voulais avancer dans ma démarche de performeuse, je devais comprendre le corps dansant. Je me retrouvais donc dans une situation impossible : redevenir une jeune femme afin de pouvoir entreprendre le parcours normal de tous les danseurs. J’étais aux prises avec mon âge et dans l’impossibilité de m’inscrire dans un programme de danse professionnelle. Je me suis tout de même présentée à certains cours d’exploration pour me rendre compte rapidement que je désirais aller au-delà du simple apprentissage d’une gestuelle ou du développement d’une conscience corporelle. Je voulais exprimer, poétiser et partager des sentiments, certes, mais surtout, savoir comment le faire. Comment amorcer une gestuelle? Qu’est-ce qui est à l’origine du mouvement?
Ce sont ces projets qui m'ont amenée à développer mon projet de recherche création doctorale.
La vidéo suivante a été réalisée durant l'automne 2009. J'étais dans mon village natal à la maison familiale à Manche d'Épée en Haute-Gaspésie. Cette captation sur le vif a inspiré les performances Mutations et Nativeland ainsi que mon projet doctoral. J'étais allée passer du temps avec mes parents avant qu'ils quittent définitivement la maison familiale quelques mois plus tard.