En m'établissant de façon permanente dans ma petite maison de campagne, j'avoue que c'est ce territoire qui est en partie responsable de cette décision de quitter la ville et de changer mon rythme de vie. Son impact sur ma qualité de vie est important. Poésie d'un territoire 2021-2022 est le titre d'une recherche création qui s'échelonne sur une année complète soit, d'un 21 décembre à l'autre.
À l’instar d’Henry D. Thoreau (1817-1862), dont les écrits philosophiques et naturalistes m'inspirent beaucoup, je marche les quatre saisons dans un petit tracé qui environne la maison et le terrain. Je reçois la nature qui m’entoure en arpentant la grandeur de mon petit territoire. Je tente de m’abandonner à ce qui advient dans l’instant de ma déambulation. Parfois des mots se placent, des images jaillissent ou bien la nature elle-même devient mon espace d’intervention. J’ai commencé à marcher dans ce petit sentier autour de ma maison pour m’initier à la béatitude relatée par Thoreau dans son mythique récit Walden (1854). Sa façon de transmettre la splendeur de ses expériences avec et dans la Nature est perceptible pour quiconque lit son récit avec attention. Il m’a donné le goût de marcher mon environnement. C’est à force de faire mon trajet que j’ai réalisé qu’il devenait une réponse à un état d’agitation et de questionnements liés à mon travail en atelier. C’est donc avec beaucoup d’intérêt que je me suis intéressée à découvrir divers écrits sur la marche et la marche méditative.
J’aime beaucoup cette phrase : « [...] nous utilisons notre corps pour comprendre la nature de notre existence. » (Gunaratana, 2007, p.11) La marche participe à cet élan vers un changement d’une perception personnelle. Plusieurs fois dans ma vie, j’ai été amené à faire des choix marquants. Aujourd'hui à cette étape de ma vie, les choix que je suis amenée à réfléchir et à poser (et qui sont pas mal plus simples que ceux faits alors que j’étais plus jeune) sont plus percutants. Je m’interroge sur cette réaction et pour arriver à calmer ce flux dans mes pensées, j’ai besoin d’être active physiquement. Marcher calme mon état intérieur. Marcher en solitaire d’une façon routinière me rassure « La marche est une lecture du lieu qui prélude à la compréhension inépuisable de soi. ». (Gillyboeuf, 2003, p.79)
Dans une entrevue accordée à Radio-Canada [1] l’anthropologue et sociologue David Le Breton, grand marcheur, parle de la fatigue thérapeutique conséquente à une longue marche dans les sentiers montagneux ou autres. Il parle aussi de la force d’une marche collective, une activité sociale, un peu comme celles que l’on valorise dans les voyages de ressourcement personnel. C’est ainsi que j’ai réalisé que ce n’était pas cette marche qui me ressource, mais plutôt celle qui se vit dans les petits pas et en solitaire. La marche en pleine conscience me permet de me connecter à mes questionnements. Je marche pour éveiller mon esprit à ce qui peut advenir comme élan de création.
J'ai eu le désir de regrouper cette année d'exploration du territoire en suivant les cycles des saisons. Poésie du territoire a été développé tout au long de l'année 2022.
[1] LE BRETON David, émission C’est fou, Radio-Canada, OH DIO , 15/11/2019 https://ici.radio-canada.ca/ohdio/premiere/emissions/c-est-fou/segments/entrevue/67858/eloge-bienfaits-marche-ralentir-prendre-son-temps-david-le-breton
THOREAU, H.D. (1854, 1ère éd.) Walden (trad. Brice Mathieussent), Ed. Le mot et le reste 2017.
THOREAU, H.D. (1888) Une promenade en hiver (trad. Nicole Mallet), Ed. Le mot et le reste 2018.
THOREAU, H.D. (1862, 1ère éd.) De la marche (trad. Thierry Gillyboeuf), Mille et une nuits, coll. « La petite collection », 2003.